Persistances rétiniennes, uzétiennes et autres [15]

« Des « institutions complètes et austères », disait Baltard (1). La prison doit être un appareil disciplinaire exhaustif. En plusieurs sens : elle doit prendre en charge tous les aspects de l’individu, son dressage physique, son aptitude au travail, sa conduite quotidienne, son attitude morale, ses dispositions ; la prison, beaucoup plus que l’école, l’atelier ou l’armée, qui impliquent toujours une certaine spécialisation, est « omnidisciplinaire ». De plus, la prison est sans extérieur ni lacune ; elle ne s’interrompt pas, sauf sa tâche totalement achevée ; son action sur l’individu doit être ininterrompue : discipline incessante. Enfin, elle donne un pouvoir presque total sur les détenus ; elle a ses mécanismes internes de répression et de châtiment : discipline despotique. Elle porte à leur intensité la plus forte toutes les procédures qu’on trouve dans les processus de discipline. Il faut qu’elle soit la machinerie la plus puissante pour imposer une nouvelle forme à l’individu perverti ; son mode d’action, c’est la contrainte d’une éducation totale : « En prison le gouvernement peut disposer de la liberté de la personne et du temps du détenu ; dès lors, on conçoit la puissance de l’éducation qui, non seulement dans un jour, mais dans la succession des jours et même des années, peut régler pour l’homme le temps de veille et de sommeil, de l’activité et du repos, le nombre et la durée des repas, la qualité et la ration des aliments, la nature et le produit du travail, le temps de la prière, l’usage de la parole et pour ainsi dire jusqu’à celui de la pensée, cette éducation qui, dans les simples et courts trajets du réfectoire à l’atelier, de l’atelier à la cellule, règle les mouvements du corps et jusque dans les moments de repos détermine l’emploi du temps, cette éducation, en un mot, qui se met en possession de l’homme tout entier, de toutes les facultés physiques et morales qui sont en lui et du temps où il est lui-même. (2) » Ce « réformatoire » intégral prescrit un recodage de l’existence bien différent de la pure privation juridique de liberté et bien différent aussi de la simple mécanique des représentations à laquelle songeaient les réformateurs à l’époque de l’Idéologie. »

_________

(1) L. Baltard, Architectonographie des prisons, 1829.
(2) Ch. Lucas, De la réforme des prisons, 1838, II., p. 123-124.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard 1975, tel, 2007, N° 225,
p. 273-274.

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avignon64_DH(L’agrandissement de toutes les photos est possible voire recommandé.)

 [ ☛ à suivre ]

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17 réflexions sur “Persistances rétiniennes, uzétiennes et autres [15]

  1. brigetoun dit :

    me suis replongée par petits bouts dans « Surveiller et punir » ces temps-ci, aussi
    merci pour cette série de billets

  2. S’éduquer en prison…
    Apprendre tout ce que l’on n’a pas appris à l’extérieur…
    Apprendre à dessiner la petite maison de ses rêves avec un cyprès sur le pignon, ou à peindre des portes de toutes les couleurs…
    Apprendre à « recoder » son existence quand l’absence de liberté vous prive de l’essentiel.
    C’est probablement un beau pari idéologique mais je crains que la réalité ne le rattrape avec ses serres dépourvues d’indulgence.
    Merci pour la suite de cette visite si impressionnante !

    • @mchristinegrimard : Je me souviens d’un passage de Lautréamont (« Les Chants de Maldoror », Chant premier, page 78 de l’édition du Livre de poche N°1117-1118) où il compare le lycée à une prison et parle des « murailles de la demeure de l’abrutissement »…

      Revers de la médaille !

  3. jeandler dit :

    Réformés, nous sommes tous morts.

    • @ jeandler : oui, cette théorie de la « réformation » perdure encore, alors que l’on sait que la prison est ou peut être ce que l’on appelle « l’école du crime ».

  4. Francesca dit :

    Photo 4 : contre qui, les « coups et blessures volontaires « …
    Photo 8 : lit-on bien  » El Quaida  » ?

  5. Aunryz dit :

    Cette série fait revenir des pans
    de la vieille prison Barrès au centre Metz (depuis disparue) et de ses « enfermés » particuliers
    de la maison d’arrêt de Metz Queuleu où les gardiens sont souvent aussi désemparés face à la débordante vitalité des jeunes et de leurs chahuts, que les professeurs et les pions face aux potaches.
    Les théories de la prison sont utiles
    car mieux que toutes autres elles mettent en évidence
    l’inaptitude de la théorie à contraindre la matière.

    Merci pour ce passage virtuel en prison

    • @ Auryz : la théorie se heurte à l’enfermement.

      Quelles autres solutions ? Le panoptique des caméras de surveillance dans les villes en est sans doute une mise en pratique parmi d’autres – en attendant peut-être l’observation de l’individu par l’œil de l’Etat à domicile. 🙂

      Merci pour votre passage sur ce blog.

  6. godart dit :

    Le bracelet électronique apparaît comme une alternative possible et souhaitable à l’enfermement pour de nombreux détenus. A condition d’un suivi et de propositions,notamment de formations professionnelles. Ces persistances rétiniennes sont un beau parcours. Paradoxalement, elles font voyager, un peu à l’image parfaitement rendue par Rendu de ce cabriolet estival.

    • @ godart : Oui, pas de quartier pour les bracelets !
      Sauf que Thalès (d’après France Inter à 13:20) semble avoir fourni à l’administration pénitentiaire des appareils qui se déclenchent… « intempestivement » !

      • godart dit :

        Hors les murs et hors saison, les hors-la-loi bénéficient d’une panne électronique, les téléphones portables prenant le relais.

        @ godart : se méfier de SFR… D.H.

  7. godart dit :

    Preuve, s’il en est de l’agrandissement de vos photos: rendons à César ce qui appartient à César, et la photo à son auteur, Georges Renou.

  8. Dom A. dit :

    Avec tact, le législateur a créé le bracelet électronique (on a échappé au collier)

    • @ Dom A. : il est vrai que le licol aurait fait un peu « antique »…
      Le bracelet a l’avantage d’être discret, et les bijoutiers de la place Vendôme s’en réjouissent quand les auteurs de certains hold-up sont de temps en temps attrapés.

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