[Où l’on voit notre héros se piquer de (ou à la) littérature.]
Une fois lancé sur l’autoroute de l’endormissement (avec la voix musicale d’Alain Veinstein) dans les bras de Morphée – j’aimerais bien le rencontrer en vrai – j’allume mon plafonnier et je déguste un peu de Lautréamont, comme une potion magique ou un whisky céleste…
« Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne. Mais, le fantôme jaune ne le perd pas de vue, et le poursuit avec une égale vitesse. Quelquefois, dans une nuit d’orage, pendant que des légions de poulpes ailés, ressemblant de loin à des corbeaux, planent au-dessus des nuages, en se dirigeant d’une rame raide vers les cités des humains, avec la mission de les avertir de changer de conduite, le caillou, à l’œil sombre, voit deux êtres passer à la lueur de l’éclair, l’un derrière l’autre ; et, essuyant une furtive larme de compassion, qui coule de sa paupière glacée, il s’écrie : « Certes, il le mérite, et ce n’est que justice. » Après avoir dit cela, il se replace dans son attitude farouche, et continue de regarder, avec un tremblement nerveux, la chasse à l’homme, et les grandes lèvres du vagin d’ombre, d’où découlent, sans cesse, comme un fleuve, d’immenses spermatozoïdes ténébreux qui prennent leur essor dans l’éther lugubre, en cachant, avec le vaste déploiement de leurs ailes de chauve-souris, la nature entière, et les légions solitaires de poulpes, devenues mornes à l’aspect de ces fulgurations sourdes et inexprimables. (…) »
Je referme maintenant Les Chants de Maldoror (Chant deuxième, pages 164-165, Livre de poche N° 1117-1118, 4ème trimestre 1963) et je clos délicatement une paupière.
Bing ! Bing ! Bing ! Bing ! Voilà que soudain l’on frappe à la vitre, côté conducteur. Il doit être à peu près deux heures du matin, dans la rue Beaurepaire : qui vient de cette manière insolente briser le début de mon sommeil ? La politesse, même nocturne, n’aurait donc plus cours ?
De la main gauche, je tourne la manivelle de la fenêtre (non, ce n’est pas électrique, ici), un grand souffle d’air polaire s’engouffre en une seule rafale dans la camionnette.
Et, tout à coup, une voix forte, comme j’imaginerais celle d’un homme des cavernes, fait vibrer, trembler et sonner ma trompe d’Eustache.
(Photo : cliquer pour agrandir.)
(Carla Bley, Fresh Impression)
[ ☛ à suivre ]