Archives du 19/12/2013

Aventures banales d’Henri Polar [4]

[Où l’on dispose d’une idée de l’emploi du temps de notre héros.]

Au cours de la nuit qui leur appartint, ils se livrèrent à une guerre pacifique, celle qui fait disparaître les heures, les minutes et les secondes. Ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant mais l’attraction passionnée qui les aimantait alors ressemblait à la déflagration inattendue d’un orage, à l’éclair impérial dans sa soudaineté, à la déchirure qui claque les tympans et illumine le ciel en le balafrant d’un immense « z » trop vite disparu.

Quelle était cette distinction toujours en vigueur entre le noir et le blanc, entre la vie nocturne et la vie diurne ? La dichotomie régnait partout, il n’était pas facile de se propulser « par-delà le bien et le mal ». L’amour, même d’un soir, redonnait du tonus, du peps, de la dynamique à notre héros : l’affection qui lui était apportée ressemblait à du magnésium dont il aurait dépassé la dose prescrite.

La joute amoureuse avait chassé les bruits inquiétants provenant du mur contigu au lit avec ses draps froissés : des râles, des cris, des soupirs, mais de ceux qui inquiètent et non de ceux qui excitent, comme si deux fantômes se livraient bataille pendant que Henri Polar prodiguait ses caresses et marquait ses avancées audacieuses auprès d’Eugénie (c’était le prénom qu’elle lui avait confié).

Notre héros n’exerçait pas un métier recommandable – « voleur à la roulotte » était moins bien vu que voleur à la roulette – il vivait d’« expédients » et chaque jour représentait pour lui la recherche d’un résultat incertain, d’un chapardage réussi ou non, d’un « casse » discret ou peut-être filmé par une caméra de « vidéo-protection ». Le béret et les lunettes noires devaient se porter même en hiver.

Il ne comptait plus ses inscriptions à « Pôle Emploi » et avait même favorisé, grâce à sa radiation, la baisse des dernières statistiques du chômage. Plutôt que de se résigner à mendier (même si, comme on l’a vu, il savait imiter l’allure implorante du quémandeur urbain), il avait organisé lui-même sa petite entreprise dont il était à la fois le patron et l’unique employé.

Le matin, après avoir garé sa camionnette (aujourd’hui, rue Bichat), il explorait les entrées d’immeubles où l’on pouvait pénétrer derrière un visiteur ou le facteur qui ne sonnait plus jamais deux fois – le défunt James M. Cain cohabitait avec le toujours vivant Horace Silver – et ensuite il prenait l’ascenseur, repérait les appartements qui semblaient inoccupés (le travail produisait cette conséquence), calculait les moyens nécessaires pour forcer la porte.

Equipé comme un plombier (français !), il emportait sa lourde sacoche de cuir marron avec l’attirail complet qui lui était nécessaire : trousseau de clés, pince-monseigneur, pied-de-biche, démonte-pneu, perceuse autonome, et mini pains de plastic au cas où la résistance aurait été trop forte.

Mais il serait bientôt l’heure d’aller au chagrin. Eugénie dormait comme un ange, ses épaules nues étaient parsemées de grains de beauté : comme une pluie de petites étoiles qui l’aurait arrosée durant la nuit. Ses cheveux blonds éparpillés sur l’oreiller faisaient songer à une multiplicité d’affluents prêts à se jeter dans un océan tout blanc.

Maintenant, le jour s’invitait discrètement derrière l’épais rideau de velours beige. Dehors, au milieu du silence retrouvé de l’hôtel, la sirène d’une voiture de police semblait se rapprocher : mais quoi de plus normal que cette mélodie, tous les jours, à Paris ?

HP4_DH(Photo : cliquer pour se rapprocher.)

(Horace Silver, Serenade to a Soul Sister)

[ ☛ à suivre ]

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