Archives du 20/12/2013

Aventures banales d’Henri Polar [5]

[Où l’on constate que notre héros repart vers d’autres imprévus.]

C’était une fausse alerte, la voiture de police s’éloignait déjà.

Après Eugénie, Henri Polar prit une douche. Ils s’habillèrent et descendirent ensuite dans la salle du rez-de-chaussée réservée au petit déjeuner. Ce n’était pas, comme dans les hôtels chics, un buffet croulant sous les céréales, les tranches de jambon, les fromages, les œufs durs ou brouillés, les fruits, les gâteaux, les confitures, le miel, les saucisses et le pain grillés, la lait bio ou pas, le thé noir ou vert, les petites madeleines, mais il y avait du café, de la baguette et du beurre d’Isigny enballé en rectangles de 2 cm x 4 cm.

 – Vous faites quoi, maintenant ? demanda Eugénie.

– Je vais travailler les immeubles que j’ai notés sur mon petit carnet Moleskine et puis récupérer ma camionnette.

– Je pourrais vous accompagner ? s’enquit Eugénie.

– Non, vous savez (ils s’étaient mis au vouvoiement), c’est trop risqué, et tous les deux on se ferait encore plus remarquer. Donnez-moi vos coordonnées, nous pourrions nous retrouver pour une petite soirée une autre fois…

Les yeux clairs d’Eugénie s’assombrissaient d’un voile de tristesse. Elle repensait à la nuit dézinguée qu’elle avait vécue, elle aurait voulu qu’elle ne soit pas limitée par le temps : une nuit qui aurait duré aussi longuement que dans les pays nordiques, à la limite de l’aurore boréale. Et là, il fallait revenir les pieds sur terre, décoller la tête des nuages, respirer bientôt l’odeur de la circulation automobile.

Henri Polar croyait qu’il ne s’agissait que d’une aventure sans lendemain. Sa camionnette le mènerait dans d’autres quartiers, il rencontrerait d’autres femmes et il oublierait rapidement celle-ci. Même si elle était aussi jolie qu’une apparition ou qu’un portrait peint par Dante Gabriel Rossetti.

– Il faut se quitter, sauvez-vous, et je vous téléphonerai, dit Henri Polar.

– Vous m’abandonnez bien vite ! Alors, encore une cigarette ?

– Tenez, prenez le reste de mon paquet de Craven « A », gardez la boîte en souvenir, et inscrivez mon numéro de portable au dos !

Ils s’embrassèrent violemment, leur accord charnel d’un instant immobile ressemblait à un fruit doux et amer. Ils payèrent le préposé à la caisse de l’hôtel, ils atterrissaient maintenant sur le trottoir. Un mince soleil les visait amicalement, l’air jouait sa valse lente de la pureté matinale, les nuages étaient encore couchés.

Quelques passants passaient, un jour ils trépasseraient : l’issue était certaine, l’égalité existait bien pour tous, finalement.

– Allez, je prends le métro à Bonsergent, dit Eugénie.

– C’est OK pour moi, je vous accompagne, j’ai justement une visite à faire rue de Lancry, répondit Henri Polar en souriant.

HP5_DH(Photo : cliquer pour ralentir.)

(Miles Davis, Milestones)

[ ☛ FIN ]

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