Archives du 21/12/2013

« Emprisonner une réalité »

« Les photos sont une façon d’emprisonner une réalité conçue comme récalcitrante, inaccessible ; une façon de la faire tenir tranquille. Ou encore elles agrandissent une réalité perçue comme diminuée, vidée, périssable, lointaine. On ne peut pas posséder la réalité ; on peut posséder (et être possédé par) des images – de la même façon que, selon Proust, le plus ambitieux des reclus volontaires, on ne peut pas posséder le présent mais on peut posséder le passé. Rien ne pourrait être plus différent du labeur auquel un artiste comme Proust sacrifie sa vie, que la facilité de la photographie, qui doit être la seule activité productrice d’œuvres d’art reconnues dans laquelle il suffit d’un mouvement, une pression du doigt, pour produire une œuvre à laquelle rien ne manque. Tandis que le labeur proustien présuppose que la réalité est lointaine, la photographie implique que l’on y a accès instantanément. Mais la conséquence de cette pratique de l’accès instantané est une autre façon de créer de l’éloignement. Posséder le monde sous forme d’images, c’est précisément refaire l’expérience de l’irréalité et de l’éloignement du réel. »

Susan Sontag, Sur la photographie (Christian Bourgois éditeur, traduction de l’anglais par Philippe Blanchard avec la collaboration de l’auteur, 1993-2000, page 192).

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Sontag6_DH(Paris, 10e, hier matin. Toutes les photos peuvent être agrandies.)

(Jimi Hendrix, Freedom)

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