« Si le paysage peut être décrit comme un certain phrasé, alors on peut prolonger la métaphore et considérer qu’il y a en lui une donnée lexicale ouverte et un ensemble, ouvert également, de possibilités syntaxiques. Le national (ou plutôt, en reprenant la notion déviée que l’on doit à Hölderlin, le nationel), dès lors, ce ne serait que l’ajointement performé d’un certain lexique et d’une puissance syntaxique, autrement dit d’une volonté d’articulation. Cette puissance peut être comparée à la fertilité : c’est dans la mesure même où elle est capable d’intégrer de nouveaux mots et de former avec eux des séquences inouïes qu’une syntaxe peut être considérée comme valide. Il ne s’agit pas, bien sûr, de se livrer à un essayage permanent qui irait totalement à l’encontre de ce qui est de toute manière assuré par une certaine force d’inertie de la langue – mais un paysage réussi, un paysage que l’on aimer regarder, c’est justement un équilibre apaisé (et comme tel apaisant) entre cette force d’inertie et une activité de renouvellement. Avec, bien entendu, des accents d’invariance (par exemple un lac de haute montagne) et, au contraire, des espaces où la variabilité est elle-même la donne – ce qui est le cas de la plupart des espaces agricoles (sauf ceux dits de culture permanente, comme la vigne et les vergers). »
Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, Voyages en France (Seuil 2011, Points N° 2888, pages 440-441).
(Ces photos prises près de Bailleul, Nord, le 14 juillet, sont agrandissables.)
[ ☛ à suivre ]
qu’est-ce donc ces grandes lianes qui grimpent ?
@ lanlanhue : plantations de houblon => bière…
on dirait des vignes mais vierges…
belles images pour accompagner un beau livre
@ brigetoun : futur breuvage alcoolisé (après transformation)
du houblon (hop), tout simplement
@ labelleaffaire : gagné !
Entre lexique et syntaxe, croix de bois, ou de fer, l’apaisante douceur de ce paysage repose, et nous donne un peu de fraîcheur avant d’affronter la chaleur du jour. Merci !
@ mchristinegrimard : Il y a pas mal de petites brasseries artisanales dans la région…
En d’autres mots, si je comprends bien, chaque paysage, comme tous les êtres, a toujours une personnalité, une voix ainsi qu’une capacité plus ou moins forte de s’exprimer et de se faire comprendre, petit à petit, mot par mot, à travers une phrase, un récit, un poème et cetera.
Mais nous, les citoyens nourris du gris clair des façades et du gris foncé des toits, ayant pendant longtemps oublié toutes ces merveilles que la nature humanisée attend patiemment de nous révéler et expliquer, est-ce que nous avons la capacité et la force d’articuler une seule phrase, lorsque nous nous rendons sur les lieux ?
@ biscarrosse : L’avis d’un écrivain si subtil est parfois requis !
Curieuse notion que celle de dépaysement.
Pour changer régulièrement de département, entre Pas-de-Calais et Nord (encore qu’il conviendrait mieux de mettre Houtland) je ressens souvent au passage de cette frontière invisible ce changement de « personnalité » évoqué par Biscarosse. Pas tout à fait un autre pays, mais presque. Et si de part et d’autre de cette ligne les briques sont rouges, on est ailleurs, presque.
Tot anoste keer (à peu près)
@ Defrancoisjose : c’est un beau concept et une réalité saisissable…
Votre dernière phrase m’a fait repenser au « dépaysement » qu’une très grande chorégraphe flamande sait mettre avec un tel art en scène.
Bien beau texte qu’il fallait savoir dénicher. J’aime l’idée de cette articulation entre invariance et variabilité, inertie et renouvellement. Il y a du Borges dans ce Bailly là. Les possibilités infinies des combinaisons mathématiques de la syntaxe, il en est de même pour les notes de musique, peuvent en donnant sens essayer de percer les mystères et donc les harmonies du ciel et de la terre.
@ godart : Bailly est un dictionnaire à lui tout seul.
Les belles photos donnent une sensation de calme et d’espace ; le ciel parsemé de nuages en est le fond idéal !
@ claudiapatuzzi : c’est vrai que cela change quelque peu du quai de Valmy !
Beaux paysages et belles prises… En prime, le souvenir de l’odeur du houblon. Une mention spéciale à l’estaminet.
@ Désormière : il avait l’air fermé, en ce jour férié…
Le Nord peut être si coloré… Je me demande si l’estaminet n’est pas transformé en maison d’habitation, pas le moindre indice de son fonctionnement.
@ Eugénie : vous avez peut-être raison, il y a aussi beaucoup de B & B dans la région (surtout des touristes anglais), et s’il n’est plus marqué sur Internet comme étant en activité… mystère !
« le dépaysement » est un bouquin formidable (tes photos ne sont pas mal non plus d’ailleurs)
@ PdB : la « France profonde » vue, dans ce livre, avec une profondeur certaine…
A Bailleul l’oeil bée, une photo après l’autre.
@ Julien Boutonnier : j’espère que c’est un peu de béatitude…
Bel extrait de ce livre qui, une fois lu, marque pour longtemps.
Quant au houblon, je ne l’aime que sur pied pour sa volubilité décorative car la bière… beurk !
Mais comme toujours les photos sont magnifiques.
@ Francesca : pour la bière, bien sûr, tous les goûts sont sur pied ou dans la nature ! Parmi les belges, il en est de surprenantes (jamais bu une « Mort subite » ? On s’en remet !)…