La décision avait été prise de vivre désormais uniquement sur l’eau : pas seulement pour une rapide virée en été, mais de manière permanente. Il ne s’agissait pas d’utiliser la péniche, comme cela se pratique sur certaines berges de la Seine, à la manière d’un « home » statique plus ou moins original et branché, orné de plantes vertes sur le pont, mais bien plutôt comme un véhicule plus lent, plus doux, qui parcourrait tous les canaux, les rivières, voire les fleuves, de France (et même de Navarre), au gré de la fantaisie du conducteur, de ses désirs mesurés entre deux rives, des ports d’attache temporaires et de la carte papier dépliée ou consultée sur l’ordinateur de bord.
Là, ils étaient passés par le canal Saint-Martin et avaient stationné quelque temps, juste pour laisser un bateau de touristes venant frontalement, le Marcel Carné, franchir le pont tournant. Ensuite, ils descendraient, d’écluse en écluse, jusqu’au port de l’Arsenal (au-delà de la place de la Bastille) et rejoindraient la Seine qui bouillonnait déjà d’impatience à l’idée de les accueillir.
Quand l’Anna Maria se remit en route, elle cracha une forte fumée noire – comme une baleine agitant ses évents, mais dans un jet d’une autre couleur – et reprit sa route tranquille.
Une sorte d’échappement libre fonctionnait également dans la tête du capitaine qui manœuvrait la barre d’acajou. Seules quelques mouettes, haut dans le ciel, firent mine de s’étonner de cette pollution passagère qui contrastait avec leur robe blanche et lisse.
(Cette photo, prise le 28 octobre à Paris, peut être agrandie.)
(Stan Getz, I Want to be Happy)
mon rêve de toujours (et deux petites croisières en famille ne l’ont pas fait cesser) – vos mots savent le réveiller
@ brigetoun : merci (mais ma messagerie est en panne, et j’ai été pris toute la journée ailleurs).
On en redemande ! N’y aura-t-il pas de n° 2, 3, etc. à cette échappée belle ?
@ Francesca : il faudrait simplement larguer les amarres…
Apparemment, il n’y a rien de pénible dans ce destin de cabotage réglé par les écluses et la prudence. Et pourtant doivent se dire continûment « Bon courage » ceux deux ou trois personnes qui ont « assumé la différence ».
Je ne suis pas religieux, mais j’arrive également à imaginer, devant tout ce qu’ils doivent affronter, avec ce vieux truc d’antan, l’importance suggestive du nom « Anna Maria » qu’ils ont adopté.
Une « Ave Maria » qui affiche d’ailleurs une silhouette féminine assez païenne, pas totalement dépourvue d’un certain attrait subliminal.
@ biscarrosse2012 : « pénible » ne saurait naviguer de conserve avec « péniche » ! 🙂
Le patrimoine fluvial: depuis 1980, nos politiciens ont décidé de détruire les péniches – on dit arracher – et la grande famille des mariniers – encore un scandale étouffé –
A qui est l’Anna-Maria (un bateau est féminin en anglais), on ne peut plus stationner dans Paris.
Des sites intéressants pour faire connaître cet autre monde en voie de disparition comme pnich.com.
@ Alex : le patrimoine n’est pas un long fleuve tranquille…
Il faut aller à Amsterdam. Là, les péniches sont bien tranquilles et immobiles le long des canaux. Voir en hiver la fumée s’échapper d’une petite cheminée, et imaginer la vie dans cette grande coque.
@ Désormière : fumée le long des canaux : oui, bien entendu.
Certes, mais puisque nous sommes aux Pays Bas, pas de pétards le 14 juillet…
@ pourtant, la météo pourrait y faire déjà penser ! D.H.
On dirait l’alambic d’un limbe.
Je reste perplexe.
@ Alex : n’est-ce point aussi le propre de l’art « pauvre » (et involontaire) de susciter l’interrogation ?
@ Dom A. : j’en reprendrais bien une goulée.
L’ingéniosité du tuyau d’échappement apporte l’espoir qu’à chaque situation de vie correspond une échappatoire.
@ Godart : finalement…
J’aime beaucoup cette photo qui embarque vers le rêve en effet, et aussi lorsque vous vous laissez embarquer par les mots au fil de l’eau, comme ça…
@ mchristinegrimard : les mots sont la crête des vagues…
j’aime bien les mots et la photo !
@ claudiapatuzzi : merci à vous, qui connaissez leur valeur respective !