« Le tiers livre et scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »
La liste des participants de ce vendredi 6 janvier 2017 – encore bonne année à tous ! – et la recension de l’exercice sont établies par Marie-Noëlle Bertrand.
Ci-dessous, j’ai le grand plaisir de publier le texte de Marie-Christine Grimard tandis qu’elle accueille simultanément ma contribution sur Promenades en Ailleurs, son blog quotidien.
Nous avons donc échangé deux de nos photos d’enfance et inventé un texte à partir de chacune d’elles et du titre imaginé d’un commun accord : « Grandir ».
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Grandir !
J’aimerais grandir plus vite, le temps de l’enfance est trop long.
Si j’étais grand je ferais tout ce que fait mon père, je serais libre, je serais…
Je serais quoi, je serai qui plus tard ? Quelqu’un d’important, quelqu’un qui compte pour les autres et sur qui les autres peuvent compter ? Quelqu’un de bien ? Quelqu’un qui laissera sa trace parmi les autres sillons ?
Je ne veux pas y penser, l’avenir c’est pour les grands. Moi, j’ai le temps.
Quand on est petit, le temps est long, l’espace est immense. Plus on grandit plus le monde se rapetisse, la table est de moins en moins haute, les jours sont de plus en plus courts. Ma grand-mère dit que son temps est passé si vite, et pourtant le mien passe si lentement.
En attendant, je cours, je vole, les papillons sont mes amis. On me dit que je n’aurai jamais plus le temps de rêver quand je serai grand, que je n’aurai jamais plus le temps de vivre. On me dit qu’il faudra être sérieux, on me dit que je dois apprendre à être un homme, et qu’un homme c’est solide !
Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’être un homme, solide et sérieux comme mon père, dur comme mon grand-père…
Je veux grandir, mais j’aimerais aussi rester petit longtemps. J’aimerais que maman soit là pour moi jusqu’à la fin des temps, qu’elle me serre dans ses bras le soir et qu’elle me raconte des histoires de chevaliers et de fées. Je sais bien que les fées n’existent pas, je sais qu’il faudra grandir et oublier toutes ces histoires ridicules. Les merveilles qui volent sous mes paupières avant de m’endormir n’existent pas. Il faudra que je devienne intelligent comme mon père, sage comme ma mère, il faudra que j’élève à mon tour des enfants, il faudra que je sois grand et fort.
Je serai mari, amant aimant, père, grand-père peut-être. On pourra toujours compter sur moi. On m’admirera, on me demandera mon avis et on le suivra.
Et moi, dans tout ça, où serai-je caché ? Aurai-je encore le droit de me tromper, de pleurer ? Aurai-je le choix de mes faiblesses ? Saurai-je aimer et serai-je aimé ?
Grandir, il le faut. Je n’ai pas le choix. Je ne suis pas sûr d’en avoir envie.
C’est si bon de courir dans ce pré, en poursuivant les papillons, jusqu’à maman qui me tend les bras.
C’est si bon d’être petit, encore un peu…
texte : Marie-Christine Grimard
photo : Jules Hasselmann