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Un jour à marquer d’une croix panoramique [2/2] « Serre moi fort » : Mathieu Amalric à la recherche du trait d’union disparu

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(Bassin de La Villette, 16 septembre.)

Dès le début du film de Mathieu Amalric, Serre moi fort, l’évidence s’impose : le générique est écrit en capitales, les noms frappent et sont lisibles. Tout le monde sera reconnu (on compare avec ces défilements habituels de pattes de mouches à cent à l’heure sur l’écran pour ne pas déranger le spectateur et gagner du temps à la télévision), chacun aura été « acteur » dans cette œuvre qui déjà, par sa seule typographie, se hausse d’un cran par rapport à la production cinématographique courante.

Mais nous voilà embarqués dans ce vrai ou faux « road movie », avec l’adorable voiture américaine (AMC Pacer 1979, mentionnée à la fin) qui joue vaillamment son rôle de vecteur décidé, mélancolique ou triste, et qui renvoie au plaisir de conduire solitairement en écoutant des cassettes de piano ou l’autoradio.

Le scénario, puisqu’il faut en dire un mot, est tiré d’une pièce de théâtre de Claudine Galéa, remaniée avec elle par Mathieu Amalric : « Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va » indique mystérieusement le synopsis. Elle quitte son mari et ses deux enfants, elle doit en faire son deuil et imagine qu’ils sont toujours vivants (morts en montagne), elle les ressuscite par ses souvenirs vécus ou imaginés, sa fille avait découvert Martha Argerich dans le documentaire Bloody Daughter (2012), elle se teint les cheveux en gris, elle doit avoir seize ans, elle prépare le Conservatoire, son fils monte dans la cabane que son père Marc (solide et subtil Arieh Worthalter) a construite dans le jardin, le piano à queue est arrivé, le tourbillon musical crée la zizanie entre frère et sœur.

Sur la route qui défile, les jours où l’on déjeunait tous les quatre avec de grands bols sont là sur la table à l’hôtel isolé où Clarisse (très grande Vicky Krieps, dans la retenue profonde de l’interprétation) s’installe, elle avait disposé, avant de partir, les photos Polaroid comme dans un jeu de Memory car il s’agit bien de mémoire de visages, de musique (sublime Rameau, et Chopin, Fauré, Debussy…), de jeux, de disputes, de batailles, de rires, de pleurs, de soleil voilé.

Sur le parking de l’hôtel, la voiture – ce véhicule des heures heureuses – est enfouie sous la neige : un plan magnifique montre Clarisse dégageant le pare-brise, elle est filmée à la fois de l’extérieur et de l’intérieur de celle-ci.

L’invention cinématographique du film de Mathieu Amalric est constante : le moindre objet (le cheval de manège, le tableau de Robert Bechtle…) est chargé de signification ou la défie, le piano continue à jouer quand la jeune musicienne quitte la pièce, les dialogues s’entrechoquent entre les deux parents au-delà de cette mort apparente.

Le trait d’union qui manque dans le titre (certains critiques ne peuvent s’empêcher de le rajouter !) est le pur symbole de ce qui est en jeu : la disparition (comme chez Georges Perec ?) du lien qui unissait la mère à ses enfants et à son mari, le signe du manque, du vide, de l’absence après lesquels Clarisse court, roule, rêve et existe grâce à la survie qu’elle leur accorde, comme une seconde chance, un élancement dans une sorte de folie, la reconstruction en puzzle d’un univers parallèle où le passé et le présent se mélangent, s’épousent, s’embrassent dans l’indistinction entre la réalité et la fiction, le chagrin et la joie : fusion du rêve vivant avec un cinéma d’altitude.

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[ ☛ FIN ]

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