Le grand pan de mur jaune

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(Paris, 10e, 30 septembre. Agrandir.)

L’hertzien m’aurait peut-être permis de communiquer avec Marcel Proust. Il suffisait sans doute d’une antenne-râteau pour le joindre là où il était, à l’ombre des souvenirs en fleurs, et d’échanger des pensées sous toutes leurs formes.

Le grand pan de mur jaune me renvoyait au célèbre tableau de Vermeer, Vue de Delft (1661), et à la mort de Bergotte telle que la décrit l’auteur de « La Recherche » dans La Prisonnière.

En face, la surface du bâtiment offrait une plage variable sur laquelle les saisons aimaient à se reposer puis à passer. Les dix petits fûts oranges du sommet, sans fumée, échelonnaient un rêve de parallélisme. L’espace mural n’avait jamais pu être tagué.

Quelques nuages blancs, en haut à droite du rectangle de pierre, semblaient pré-dessiner ceux qui devaient arriver ensuite, prédestinés, dans le ciel par-dessus le toit : pressés, lents ou immobiles.

L’ombre portée ou projetée de ce qui pouvait ressembler à deux cheminées faisait apparaître comme une menace noire dans mon dos, j’ignorais que l’on « décarbonait » aussi près d’ici.

Régulièrement, des avions croisaient au loin : Proust n’avait pas essayé ce moyen de transport qui permet de prendre de l’altitude, bien au-dessus du Mont-Blanc (même si sa hauteur réelle est en voie de progressive diminution). Pourtant il s’était rendu une fois sur un aérodrome, à Rivebelle (lieu inventé comme Balbec pour Cabourg), et avait pu également apercevoir et admirer ailleurs le vol d’ « aéroplanes » (1), civils ou militaires.

Mais l’écrivain voyageait dans sa propre mémoire, comme depuis longtemps assis dans un cockpit de liège, tandis que son incursion mentale découvrait les labyrinthes des rencontres, des sourires, des conversations, des sentiments et de la musique qui avaient marqué son existence et déclenché son écriture ineffaçable.

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(1) Voir la très belle analyse de Karl Hölz, Le motif de l’ « aéroplane » chez Marcel Proust (in le recueil « Marcel Proust », par Rainer Warning et Jean Milly, CNRS éditions, 1996).

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14 réflexions sur “Le grand pan de mur jaune

  1. brigetoun dit :

    hommage régalant (le mot est laid, tant pis, le texte, lui, est bel et bien charmant)

  2. lyssamara dit :

     À la recherche du mur perdu

    Elle ne savait pas écrire. Pourtant – enjointe par le temps retrouvé de venir le goûter – il faudrait s’y résoudre. D’abord, chiper des mots, p’t être des morceaux d’syntaxe. Et des actions d’histoires puisque source en était (hum, hum) et vite publier avant de n’être lue. Yes, voilà tout : « En face, la surface du bâtiment offrait une plage variable sur laquelle les saisons aimaient à se reposer puis à passer. Les dix petits fûts oranges du sommet, sans fumée, échelonnaient un rêve de parallélisme. »
    🙂

  3. Robert Spire dit :

    Le mur jaune du rêveur, joli texte au réveil du lecteur. 🙂
    Question mur et cauchemar je pense à ce « mur de la honte » entre Pantin et Paris, mur « Lallemand & Darmanain ». Beaumarchais, juste avant la Révolution, écrivait « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »

  4. PdB dit :

    « Du temps que régnait le grand Pan » chantait le poète – et il finissait par un « j’ai bien peur/que la fin du monde soit bien triste »…

  5. La mer est calme par dessous l’estampe des nuages, et l’ombre des deux casemates pas encore ensevelies sous le sable ne sera plus que vrai souvenir, dans un temps.
    Merci pour ce beau moment !

    • @ Dominique AUTROU : la construction d’abris anti-atomiques donne du boulot à cinq millions d’inscrits à Pôle Emploi (en attendant la retraite à 80 ou 90 ans promise bientôt dans le programme « présidentiel » du refoulé Philippe Édouard.) 🙂

  6. Francesca dit :

    Merci de ce bel article qu’on peut poursuivre en rêvant.

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