« Va-et-vient » numéro 3, « Le bus raté » par Marie-Christine Grimard

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 3 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Le bus raté ».

Pour cet échange j’ai le grand plaisir de recevoir ici, une fois encore, Marie-Christine Grimard. Ma contribution a atterri sur le blog de Dominique Autrou, La distance au personnage. Celui-ci écrit sur le blog de Marie-Christine Grimard, Promenades en Ailleurs.

L’autre échange a lieu entre Amélie Gressier qui est publiée sur le blog de Nicolas Bleusher, L’Atelier., tandis que lui-même voit sa contribution paraître sur le blog de celle-ci, Plume dans la main.

Enfin, Marlen Sauvage, sur son blog Les ateliers du déluge, a inscrit sa contribution au tout dernier moment.

Le prochain Va-et-vient (numéro 4) est prévu le vendredi 2 juin : le thème retenu est « Le foulard oublié ».

À vos claviers !

D.H.

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Le bus raté

Encore une journée difficile, mais tout a été réglé finalement. Elle a bien mérité un peu de repos. Chaque cas a été traité, et tout est en place. Le souvenir des sourires récoltés est sa plus grande récompense. Surtout ceux des enfants. Elle passe en revue les détails de sa journée en avançant les yeux dans le vague et ne remarque pas que son bus habituel démarre sans elle. Lorsqu’elle le réalise, il est trop tard. Il tourne déjà au coin de la rue.

Découragée, elle s’assoit sur le strapontin de l’arrêt de bus désert. A cette heure-là les rotations sont plus rares. Il va falloir attendre plus d’une heure dans le froid.

Plusieurs minutes passent, elle sent ses pieds s’engourdir. Un homme s’approche, un large chapeau enfoncé sur le front. Impossible de voir son visage. Elle n’est pas rassurée, peu importe après tout, elle est trop fatiguée pour partir en courant. Advienne que pourra. Il s’installe sur le strapontin voisin et la regarde de côté et dit :

– Bonjour belle demoiselle. On se connaît, non ?

Elle sourit malgré elle, ce genre d’entrée en matière n’est pas très original. A son âge, voilà bien longtemps qu’on ne l’a pas qualifiée de « demoiselle ».

– La dernière fois que l’on m’a dit cela, j’avais dix-huit ans. Vous arrivez un demi-siècle trop tard, cher monsieur ! répond-elle en cherchant son regard.

– Je sais, dit-il laconiquement. Je n’ai pas vu le temps passer moi non plus…

– Mais, je connais votre voix. Qui êtes-vous ? Regardez-moi, demande-t-elle !

Il tourne la tête et soulève son chapeau.

Elle cherche dans sa mémoire. Ce regard vert et ces sourcils froncés séparés par une double fossette. Mais oui, bien sûr :

– Patrick ? C’est bien toi ?

– Oui ! Jusqu’à preuve du contraire. Tu as bonne mémoire, répond-il en souriant.

Ce sourire !

Il la faisait déjà fondre autrefois. Aujourd’hui, c’est encore plus fort. Le cœur n’oublie jamais ses premiers émois. Et celui-ci était si fort. Elle ne sent plus ses jambes. Ses mains tremblent. Elle baisse les yeux.

– Moi non plus, je n’ai rien oublié tu sais… Sa voix se brise.

– Mais, j’ai cru que tu avais eu un accident en rentrant ce soir-là et qu’ils n’avaient pu te sauver. Du moins, c’est ce que mon père avait dit…

– Il ne m’aimait pas beaucoup, ton père. Il a dû être bien content que je disparaisse de ton paysage…

Je vais tout te raconter, mais viens, marchons un peu. Il fait tellement froid à cet arrêt de bus en plein vent. Tu vas attraper la mort.

Elle se lève, prend son bras. Elle se sent si légère auprès de lui. Elle a de nouveau dix-huit ans. Son regard si doux lui a tellement manqué.

– Oui, monsieur l’agent, j’ai arrêté mon bus et je suis descendu quand j’ai vu qu’elle ne se levait pas. Elle dormait sur son siège et quand j’ai essayé de la réveiller, elle est tombée. Alors j’ai appelé les pompiers. Je la connais bien, elle prend le bus tous les soirs. Elle habite à trois arrêts d’ici.

– Pauvre femme. Ils avaient l’air de dire qu’elle était bien frêle pour se sortir de là. Ils n’avaient pas grand espoir quand ils l’ont emmenée.

– Oui, elle m’a toujours semblé si fragile. J’avais toujours peur qu’elle tombe en descendant de mon bus. Je ne suis pas près d’oublier cette terrible pâleur sur son visage quand je l’ai trouvée ce soir, et ce si beau sourire sur ses lèvres…

Dessin_MCG

(Cliquer pour agrandir.)

Texte et dessin Marie-Christine Grimard

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14 réflexions sur “« Va-et-vient » numéro 3, « Le bus raté » par Marie-Christine Grimard

  1. @ mariechristinegrimard : Apparition… disparition : cycle inévitable que l’art, notamment, peut transposer et transcender, comme ici ! 🙂

  2. une belle histoire tendre à partir de ce qui devrait être triste, c’est bien de vous Marie-Christine

  3. […] Pour cet échange j’ai le grand plaisir de recevoir Dominique Autrou (la distance au personnage) et vous trouverez mon texte sur le blog de Dominique Hasselmann Métronomiques. […]

  4. La chute de ce billet, tout en douceur, m’a ému. Merci Marie-Christine.

  5. maudsebier dit :

    Belle histoire, joliment rédigée.

  6. J’aime aussi beaucoup le petit dessin tout en douceur.

  7. […] sur les blogs participants pour découvrir d’autres bus ratés ! Par ici : Métronomiques (pour lire Marie-Christine Grimard), La distance au personnage (pour lire Dominique Hasselmann) et […]

  8. Robert Spire dit :

    Jolie histoire qui me fait penser à « Peter Ibbetson » de George Du Maurier (qui était aussi dessinateur) 😉

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