Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 4 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : des personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog des autres. Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci s’intitule « Le foulard oublié ».
Pour cette édition, je reçois ci-dessous Jérôme Decoux, et j’ai la joie de voir ma contribution paraître sur son blog Carnets Paresseux. Marie-Christine Grimard a échangé avec Marlen Sauvage et est hébergée sur le blog de celle-ci : Les ateliers du déluge tandis qu’elle l’accueille sur Promenades en Ailleurs. L’autre échange se déroule entre Brigitte Célérier qui est publiée sur le blog de Dominique Autrou : La distance au personnage tandis que lui-même voit sa contribution figurer sur le blog de celle-ci, Paumée. Enfin, Amélie Gressier reçoit Jean-Yves Beaujean sur son blog Plume dans la main, et sa contribution est à lire sur le site de celui-ci : Désert Occidental. .
Le prochain Va-et-vient (numéro 5) est prévu le vendredi 1er septembre (vacances d’été obligent) : le thème n’a pas encore été choisi.
D.H.
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Le foulard oublié
(Paris, rue de la Ferronnerie et Saint-Honoré, photo Charles Marville, 1868. Agrandir.)
– Dis, tu t’en rappelles ?
– De quoi ?
– Du foulard.
– De celui que tu avais hier, hier ? Le bleu et rouge avec des salamandres ? Rudement joli ! Ça t’épate que je m’en rappelle ?
– Non, çamépatpa, et non, pas dçuilà, du tien.
– Ben lequel ? J’n’en mets jamais !
– T’en mets plus, nuance. Mais avant, oui.
– Avant quoi ?
– Avant que tu l’oublies, pardi !
– Moi, enfoulardé ? Tu ne me confonds pas avec un de tes miriliflores ? Non ?… Attends, oui, maintenant ktuldi je me souviens d’abord d’une odeur ; mélange de parfum, de tabac, une note de lessive, une pointe de suée ; plus un relent de cuir et d’essence… Alors c’était l’autre été, quand on faisait de la moto sur les corniches ?
– Je peux pas te dire, vous m’emmeniez jamais en moto.
– Je me rappelle d’un tissu minci d’usure, pelucheux et élimé, rattrapé ci et là en points serrés d’un fil un peu hasardé. Mais negzagérons rien, dire si c’était soie, lin, laine, coton, modal – surement pas cachemire – peut-être nylon ou filoselle, j’saurai pas ; j’ai jamais été bon en voilage et confection. J’avais dû le trouver sur un dossier de chaise d’une des terrasses du port.
– Déjà oublié, quoi.
– Et à quoi il ressemblait, tu t’en rappelles ?
– … des motifs imprimés, oiseaux bizarres et fleurs improbables, aux couleurs criardes heureusement affadies par le temps : rouge sanguin passé rose, jaune tournesol tourné ivoire, bleu d’outremer viré ciel d’été. Oublié où, c’est une autre histoire. Une voiture un hôtel un bureau un café un placard un sous-bois une valise une poche un train un port à la plage un vestiaire une salle de gymnastique chez le dentiste à la neige ? Non, pas à la neige. J’n’y vais jamais.
– Mais dis, si tu t’en rappelles si bien, on n’peut pas tellement l’appeler le foulard oublié.
– Tu dirais plutôt comment ?
– Je sais pas, le foulard perdu, égaré, ou prêté, ou trop bien rangé, ou volé. Ou rendu. Un foulard, ça va, ça vient.
– Alors disons lefoularégaré : parce que c’est aussi un demi alexandrin.
– ?
– Ben oui, comme lefoularoublié.
– José-Maria de Heredia n’a qu’à bien se tenir !
Texte : Jérôme Decoux