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Une interview exclusive de l’écrivain Benoît Dehort

Goncourt 17.6.21_DH

(Paris, métro Goncourt, 10e, ligne 11, 17 juin. Agrandir.)

Il émerge souvent de cette bouche du métro Goncourt : serait-ce pour lui une sortie signifiante, ou comme un pied-de-nez à l’institution littéraire annuelle ?

J’avais voulu en avoir le cœur net l’autre soir, et j’ai réussi à alpaguer, juste là, Benoît Dehort pour lui proposer de boire un pot « en terrasse » juste à côté, afin qu’il me dise où il en était de ses pérégrinations imaginaires…

 » – Vous visez un prix, avec vos Œuvres complètes qui chaque mois s’enrichissent d’un tome nouveau, comme si vous ajoutiez le journal mensuel ou de l’année à leur panorama en cours (ou en Goncourt) ?

– Non, les prix ne sont pas mon objectif. J’écris, dans une certaine solitude – celle qui est nécessaire à la création et exige la disparition de tout être humain supplémentaire dans la chambre où je tape sur un clavier d’ordinateur dont certaines lettres sont effacées ou ont « disparu »… – et j’ajoute cette pêche (écrire, c’est pêcher) à toute la récolte déjà faite, même si ignorée du petit monde germano-pratin, voire germano-putain ! Je me souviens des interminables « distributions des prix »  en fin d’année au lycée, où il fallait monter sur l’estrade pour recevoir un gros bouquin à couverture rouge et dorée du genre Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, alors que je préférais déjà lire le magazine Salut les Copains !

– Ne pensez-vous pas alors que vous vous comportez actuellement comme une sorte d’ermite, de prêcheur (et non de pêcheur !) dans le désert et que vos réflexions, vos notations, vos étonnements, vos souhaits, vos rêves ou cauchemars, votre univers spirituel, bref, tout ce qui définit votre démarche, échappe au moindre pékin (sans parler des critiques littéraires) et que vous écrivez, en quelque sorte, dans le vide ?

– Mais c’est justement ce vide – ou ce vice – incommensurable qui m’attire, me magnétise et, sans doute, me démonétise même si j’aime le démon inconnu qui loge en moi…

– Imaginez-vous qu’un jour vous soyez convoqué par un jury au restaurant Drouant, pour l’annonce du prix Goncourt, et que vous ayez par avance décidé de ne pas vous rendre dans ce quartier pourtant chic (2 rue Gaillon, Paris 2e) ?

– Vous vous souvenez sûrement que Julien Gracq, un écrivain hors-pair et hors-normes, avait refusé à l’automne 1951 cette « récompense » accordée à son Rivage des Syrtes (Corti) après qu’il a rédigé son pamphlet La Littérature à l’estomac » (repris par Jean-Jacques Pauvert, « Libertés », N°10, 1964). Ce geste de rejet – comme Jean-Paul Sartre dédaignant plus tard, le 22 octobre 1964, le prix Nobel de littérature – montrait l’intransigeance que l’on peut et doit accorder à l’écriture, en dehors de toutes les salades marketing et des « petits arrangements entre amis » d’un milieu où les magots se comptent au-delà de deux.

– Mais qui, alors, pourra découvrir votre « parcours » littéraire (à plume, à vélo, en voiture, en train, en avion…) ? Qui seront les heureux élus et les satisfaits une fois qu’ils vous auront lu ?

– Un minimum d’effort est en effet nécessaire. Si vous tapez « Benoît Dehort » sur Google, la pieuvre « algorithmique » dominante de notre monde, vous aurez peu de résultats ! Essayez plutôt d’en parler à vos amis, montrez-leur quelques exemplaires de ma démarche (si vous avez réussi à vous les procurer) et ensuite le bouche-à-oreille ou le bouche-à bouche devraient faire leur office : comme un fluide secret que l’on se retransmet, même les masques maintenant ôtés, d’un ami à l’autre, d’une amante à une autre, un mystère entretenu par une flamme vacillante mais qui ne doit rien aux centrales nucléaires ni aux éoliennes décapitant des oiseaux. Alors, bonne chance ! »

(Propos recueillis par D.H. le 17 juin 2021.)

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