Sans coup férir je pressentais ce jour-là, au Quartier latin, une rencontre inattendue et elle advint tout en douceur. De loin, j’avais aperçu la tenture de la boutique La Dame Blanche : elle protégeait les bacs des vinyles d’un soleil étrangement persistant.
Je m’approche, je tapote sur les disques offerts aux mains baladeuses, je passe de pochette en pochette et soudain il apparaît dans sa splendeur, sa solitude immaculée : un double album de Duke Ellington, avec son titre dans les mêmes caractères que The New York Times et cette photo d’un noir et blanc somptueux, haute de forme.
Parmi les titres, bien sûr j’en connais certains (j’ai gardé précieusement mes « galettes » obscures, 33 ou 45 tours) comme Black and Tan Fantasy, Jubilee Stomp, The Mooche, Harlemania, Cotton Club Stomp, Mississipi Dry, The Duke Stepes Out…
Ce qui m’apparaît incroyable, c’est que le célèbre critique Claude Carrière soit publié dès la front page de la pochette et puisse ainsi déployer d’emblée l’analyse pointue (version anglaise à l’appui) qu’il est capable de mener concernant ici Duke et les Washingtoniens.
Le disquaire, attentionné et comme revenu tout droit d’une époque ancienne, règne au milieu de son magasin à étage où le jazz et la musique contemporaine font joyeux ménage. Il me donne un sac pour emporter mon album qui viendra rejoindre tous les autres qui attendent chez moi, depuis trop longtemps, et désespérément, une nouvelle platine pour se remettre à la musique et à l’unisson.
Je quitte alors la boutique enchanteresse en pensant que le soleil ne raye pas ici les sillons de cire (je sais qu’il peut les gondoler) et qu’il suffirait d’un diamant pour les faire de nouveau briller.
(Paris, 21 mai. Cliquer sur les photos pour mieux déchiffrer.)
(Duke Ellington, Black and Tan Fantasy, 1927.)
D.H.