« Va-et-vient » numéro 1, L’heure attendue, par Amélie Gressier

Dans la lignée des célèbres Vases communicants, ce numéro 1 de Va-et-vient reprend le même schéma de communication : un échange entre personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog de l’autre.

Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de celui-ci est « L’heure attendue ».

À titre d’exemple inaugural, j’accueille ici Amélie Gressier, qui invite sur son blog Marlen Sauvage, tandis que mon texte est à lire sur Les Ateliers du déluge. Le dernier échange de la série a lieu entre Brigitte Celerier et Dominique Autrou.

Les contributions (à nous adresser avant la date fatidique) pour le numéro 2 de Va-et-vient seront publiées le vendredi 7 avril, avec pour thème : « Ce drôle d’effet ».

À vos claviers !

D.H.

_________________________________________

L’heure attendue

On m’avait pourtant dit que je devais attendre, que l’heure arriverait.

On m’avait dit –

On m’avait dit tu verras, sois patient. Quand tu seras prêt tu le sauras, tu auras changé, tu le sentiras dans ta tête et dans ton corps, mais ça prendra du temps, alors il faut rester calme, suivre les consignes et tu verras. On m’avait dit.

Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis là. Peut-être six mois. Dix mois. Dis-moi, combien de temps ? Au moins un an, puisque j’ai vu deux fois les pommiers fleurir.

J’avais pas demandé à être là, bien sûr, mais on m’a expliqué que ce serait mieux. J’ai pas lutté, j’avais déjà trop combattu de toute façon, c’est même pour ça que je me suis retrouvé là, sans ça j’aurais continué la vie normale.

Mais quelqu’un quelque part en a décidé autrement, et après les bourdonnements dans les oreilles, sans cesse, je les ai senties, les araignées sur ma peau, ou quelque chose qui grouillait, qui m’empêchait de dormir, tout le temps, comme une bête tapie là, dans ma chair, qui me pétrifiait et me faisait hurler, et ça me rendait –

Ici j’ai commencé à me calmer, et c’est vrai que ça va mieux, je dors et mes cris ne me réveillent plus en pleine nuit, j’oublie même un peu l’uniforme, le casque gelé et les bottes trop petites, ils avaient raison, avec de la patience et un peu d’aide, trois fois par jour avec un grand verre d’eau, ils m’ont dit que mon esprit s’apaiserait. Et qu’après je pourrais sortir. Qu’il fallait juste que l’heure arrive.

Mais je ne la vois pas arriver, j’ai beau l’attendre tranquillement, comme ils me le demandent, ils me disent rien, et moi j’espère qu’il se passe quelque chose, qu’une porte s’ouvre sur le soleil, mais ça n’arrive pas. Et quand je leur ai parlé ce matin, ils m’ont dit des mots un peu différents. Dehors je ne serais pas bien, je serais perdu, tandis qu’ici je n’ai à m’occuper de rien, tout le monde veille sur moi, je n’ai pas à avoir peur, mais pourquoi aurais-je peur, de qui devrais-je avoir peur ? De moi-même ? Mais je ne suis pas dangereux. Les araignées sont parties alors mes idées sont revenues, maintenant j’ai de la place pour penser, j’ai de l’espace dans ma tête.

Moi je veux juste sortir de cette cellule. J’ai quitté un enfer pour en trouver un autre, pourquoi ? Pourquoi on me fait ça, pourquoi je ne peux pas sortir ? On me dit d’attendre l’heure depuis des mois, mais elle n’arrive jamais, demain n’arrive jamais, toujours aujourd’hui, enfermé dans mon enfer.

L’heure attendue n’arrive pas. Pas pour moi. Je le sais, parce qu’on m’avait prévenu.

On m’avait dit –

On m’avait dit que je devais attendre.

Et je ne sais plus ce qui m’effraie le plus, rester ou sortir. Ils ont peut-être raison.

Mais non, dehors ne peut pas être mauvais, tout ça c’est terminé maintenant, on ne risque plus rien. Je retrouverais mon village et mes parents, ça n’est pas grand-chose, un village et des parents ne peuvent pas me vouloir de mal. C’est ça que je ne comprends pas. Le problème est venu parce que je suis parti, mais si j’y retourne, tout va s’arranger, c’est forcé, ça ne peut pas se passer autrement.

Je leur ai déjà dit, tout ça. Que mes parents m’attendaient. Ils m’ont dit que les lettres qu’ils ont envoyées n’ont jamais eu de réponse. Pourtant c’est facile de les trouver, ils sont dans la dernière maison avant l’église, celle avec les volets blancs et l’hortensia bleu, alors oui, pour le peu qu’il ne soit pas en fleurs, on n’en sait rien, mais les volets sont toujours blancs et la cloche au portail vient des Alpes, c’est écrit dessus, avec un écusson rouge, on ne peut pas la rater. La seule du village. Ils ont dû se tromper d’adresse.

Là aussi il faut attendre. Je ne fais que ça. J’attends la lettre, j’attends l’heure.

Aujourd’hui, j’en ai assez.

J’ai décidé d’arrêter d’attendre.

On commencera peut-être à me prendre au sérieux.

Amélie Gressier

23-26/02/2023.

Tagué , , , , ,

14 réflexions sur “« Va-et-vient » numéro 1, L’heure attendue, par Amélie Gressier

  1. je voudrais tant qu’il te soit possible de ne plus attendre (je ne te dis pas si j »‘y crois)

  2. lyssamara dit :

    Bonjour Dominique,
    lorsque je clique sur « mon texte », je retombe sur cette page. Où donc êtes-vous allé vous fourrer ?
    😀

  3. […] le plaisir d’accueillir Brigitte Celerier, qui me reçoit chez elle sur paumée, pendant que Dominique Hasselmann publie Amélie Gressier, qui accueille chez elle Marlen Sauvage, qui reçoit à son tour Dominique […]

  4. En tout cas vous avez eu raison, Amélie, de rester ici. Un beau récit, merci !

  5. maudsebier dit :

    Très beau texte.

  6. Robert Spire dit :

    Ça valait la peine d’attendre « l’heure attendue » sans la présence d’un lapin…

  7. @ Amélie Gressier : l’ambiance kafkaïenne ouvre des perspectives… bravo ! 🙂

  8. […] heureuse d’accueillir Marlen Sauvage ! Vous pouvez lire mon interprétation de ce thème chez Dominique Hasselmann, qui de son côté est ainsi publié sur les Ateliers du déluge de […]

Laisser un commentaire