Archives du 05/04/2024

Va-et-Vient numéro 12, « Complicités » par Dominique Autrou

Dans la lignée des « Vases communicants », le Va-et-Vient reprend le même schéma de communication : un échange entre personnes qui écrivent un texte (avec ou sans illustration) sur le blog d’une autre.

Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème de ce douzième échange est : Complicités.

J’ai aujourd’hui le grand plaisir d’accueillir ici, une fois encore, l’ami Dominique Autrou, auteur du blog La distance au personnage. Vous pourrez donc lire ma contribution sur son propre site.

Les autres échanges ont lieu simultanément entre Marie-Christine Grimard (Promenades en Ailleurs) et Marlen Sauvage (Les ateliers du déluge), entre Jérôme Decoux (Carnets Paresseux) et Isabelle-Marie d’Angèle, et entre Amélie Gressier (Plume dans la main) et Nicolas Bleusher (L’atelier).

Le Va-et-Vient N°13 paraîtra le vendredi 3 mai et le thème sera : L’invention d’un hasard. On pourra insérer dans le texte cette phrase de Jack Kerouac : « J’étais assez saoul pour accepter n’importe quoi. »

Toutes les propositions de participation sont les bienvenues.

D.H.

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Complicités

Ce court récit est une suite possible au billet initialement paru le 1er mars dernier sur le blog de Marie-Christine Grimard, Promenades en Ailleurs, dans le cadre du « Va-et-Vient ».

Complicités, mes fesses ! m’envoya Alice après que je l’eusse quittée. Aucune acrimonie dans ses paroles, un simple sourire équivoque au possible. Un sourire à dessein.

Avant de partir, avant de quitter Cieux (et, pour revenir sur terre, à la condition de trouver un billet de train qui ne grèverait pas ce qui me restait de budget), je m’étais promis de faire un détour chez un ami très cher qui vivait pas très loin de là, de l’autre côté de l’autoroute ; c’était un joli pays du nom de Bénévent-l’Abbaye, dans la Creuse. Rien que les noms, déjà, m’attiraient. Dans le contexte il eût été inadmissible, bien sûr, de ne pas faire un détour minuscule par Châtelus-le-Marcheix. La route serait belle et l’objet littéraire.

Le frère-mari garagiste (celui qui avait réparé la Volvo) m’a prêté une voiture de location pour la journée. Et dans les cartons d’Alice on a trouvé une carte Michelin aussi vieille que sa voiture, la N°72 au 200.000ème avec le Bibendum dessus. À sa lecture il était difficile de s’y retrouver tant les notations de plusieurs générations de pérégrins se superposaient, masquant parfois les toponymes. Un vrai palimpseste routier. Tant pis, ce serait de toute façon plus facile ‒ et plus agréable – que de comprendre le fonctionnement du GPS.

120 km aller-retour de petites routes, bonheur. Manque de bol, il pleuvait. Il serait difficile de faire une pause, aussi minime soit-elle, dans les petits pays qui figurent à peine sur la carte (des « trous paumés » qui « cassent la moyenne », selon la phraséologie des années 70) et où j’aime d’habitude m’arrêter longuement, en particulier lorsqu’une vieille église romane y repose quelque part, avec pas très loin un Bar des Sports. Quand son portail n’est pas clos j’y allume un cierge et m’agenouille un instant sur la dalle robuste et lumineuse. La première fois où Alice m’avait vu dans cette position elle avait failli m’agonir et s’étrangler. « Ce n’est pas ce que tu crois », avais-je émis pour couper court. Et en effet, elle avait compris que ce n’était pas ce qu’elle avait cru. Décidément on s’étonnait sans cesse. Il est un fait que question climat, dans tous les sens du terme, j’avais affaire à une prophétesse, que dis-je, à une scientifique. Tandis que je réfléchissais à cela les essuie-glaces glissaient, complices et impassibles, à leur allure métronomique.

L’ami m’avait prévenu, on allait devoir faire court. Il partait le lendemain pour Grenoble par le train de 7 h 16 à Guéret (qui passe par Paris, pour aller plus vite, façon de parler). Qu’importe, nous nous vîmes et ce fut bref, tonique et bon.

Bien m’en prit de ne pas faire honneur à son whisky hors-d’âge. En rentrant, au lieu-dit La Tuile, une voiture de police a mis la sirène en branle. J’avais commis un excès de vitesse. « Mais enfin, monsieur l’agent, m’exprimai-je, comment est-ce possible, dans une voiture neuve bardée de capteurs, qui passe les vitesses toute seule et lit les panneaux de signalisation à ma place, une auto qui me remet systématiquement dans le droit chemin à la moindre incartade, sans intervention de ma part ? Aurais-je oublié d’activer une fonction ? »

« Monsieur, soyez bref, m’a-t-il répondu. Soufflez ci-après (le chiffre de l’alcoolémie resta bloqué désespérément sur le zéro). Vous avez un délai de paiement de cinq jours et la possibilité de régler par carte bancaire. Au revoir, monsieur. »

À mon retour à Cieux la pluie s’était interrompue, il faisait presque nuit mais la vélocité du voyage, ses manques et son procès-verbal m’avaient lessivé. Et nous n’étions plus seuls. Plusieurs messieurs et quelques dames occupaient les lieux.

« Tiens, an aotrou, mais qu’est-ce que tu fous là ? » a dit une voix masculine dans une fumée de cigarette blonde.

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(Cliquer pour agrandir.)

Texte et linogravure : Dominique Autrou