André Glucksmann : mort d’un intellectuel engagé en politique

LIbé 11.11.15_DH(photo prise le 11 novembre. Cliquer pour agrandir)

J’ai vu deux fois André Glucksmann de près (hormis quelques autres manifestations où je l’apercevais) et dont j’avais acheté et lu les livres :

– la première, lors d’un rassemblement organisé, le 13 octobre 2006, peu de temps après l’assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa à Moscou. Il prit la parole, c’était sur le parvis de Notre-Dame de Paris (BHL était présent aussi), et un lourd silence se fit alors dans la foule devant la force, la conviction, la sincérité et la vérité de ses paroles.

– la seconde, le 10 octobre 2015, à la sortie d’un concert de musique contemporaine à la Philharmonie 2 (ex-Cité de la musique), intitulé Grand Soir, comme par un fait exprès. Il était seul, paraissait fatigué, les traits tirés. Personne n’a semblé le reconnaître dans son long manteau.

Son décès, annoncé le 10 novembre, creuse une faille dans ce que fut la réflexion philosophique liée à l’engagement politique – même avec ses erreurs – au cours de toutes ces années passées. Le « silence des intellectuels » que l’on déplore aujourd’hui (pourtant « le silence de la mer » retentit des cris et hurlements des réfugiés, notamment, de Syrie) est remplacé par l’éloge permanent, affirmé ou masqué, du néo- (ou #noé) libéralisme et, paradoxalement, de l’enfermement général des idées autour d’un nationalisme sécuritaire.

Ainsi, André Glucksmann ne connaîtra pas les prochaines élections régionales puis présidentielles : la descente, hélas, de la gauche française vers des enfers assez probables lui sera épargnée.

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18 réflexions sur “André Glucksmann : mort d’un intellectuel engagé en politique

  1. brigetoun dit :

    triste de sa mort

  2. Domi Amouroux dit :

    N’est-ce pas plutôt un autre 10 novembre que vous l’avez vu au sortir d’un concert ?

  3. Arlette dit :

    Il assumait ses contradictions … Aime

    • @ Arlette : qui ne s’est jamais trompé en politique (même Sartre…) ?
      André Glucksmann est resté jusqu’au bout un défenseur des droits de l’homme – comme l’a dit son fils Raphaël.

  4. Francesca dit :

    Grande sincérité de ce contestataire souvent contesté. J’ai encore en mémoire une envolée jubilatoire dans la cour de la Sorbonne en 68… Il s’est beaucoup trompé mais il le reconnaissait ; bravo pour cela !

  5. Alex dit :

    Les grands esprits dépassent l’encadrement politique du prêt-à-penser.

  6. Gilbert Pinna dit :

    (… et l’article très éclairant de Robert Maggiori sur la pensée d’André Gluksmann dans ce numéro de Libé)

    • @ Gilbert Pinna : oui, je l’ai lu hier matin puisque « Libé » avait décidé de sortir une édition spéciale (papier) malgré le jour férié.
      Mais le titre racoleur (« De Mao à Sarko ») était heureusement démenti par ce genre d’analyse.

  7. Jacques Mounier dit :

    Pas de sinistrose, Dominique, on ne baissera pas les bras, et d’autres grandes voix émergeront.

  8. Dom A. dit :

    Il doit bien y avoir encore quelques voix qui s’expriment justement, mais elles sont devenues inaudibles, noyées dans un flot continu d’informations spectaculaires et volontairement contradictoires. Voir par exemple l’analyse de Gérald Bronner dans La démocratie des crédules.
    Par ailleurs, si l’on entend par gauche tout ce qui n’est pas centre, droite ou extrême droite, j’ose espérer qu’elle existe encore et se développera, c’est surtout le PS qui se tire une balle dans le pied (disons qu’il a été phagocyté par des mecs de droite qui ont réussi à faire croire deux secondes qu’ils étaient… de gauche).
    En tout cas ces types et ces femmes-là (AG et quelques autres, mais surtout pas BHL), furent pour quelques-uns d’entre-nous et même à distance, des compagnons.

    • @ Dom A. : on a hélas du mal à voir le PS incarné par Macron.

      Quant à BHL, intellectuel plus « médiatique » que politique, je ne le cite que pour son compagnonnage factuel, sur certaines sujets, avec A.G.

  9. Merci pour cet hommage fait à cet humaniste dont la voix intelligente nous manquera beaucoup pour secouer l’étroitesse d’esprit actuelle. Je l’admirais beaucoup pour son parcours et ses interrogations où il plaçait l’homme au sommet dans sa recherche de la liberté dans la dignité. Je suis toujours étonnée que des personnes se permettent de juger un tel homme qui reste fidèle à ses convictions humanistes dans un parcours éclairé par le questionnement permanent. Qui sont ceux qui se permettent de dire qu’il a pu se tromper, se prennent-ils pour des dieux ou des juges ?Là où il est désormais, il doit bien en rire !

    • @ mchristinegrimard : merci pour votre commentaire.
      Tous les intellectuels, un jour ou l’autre, font des erreurs s’ils se mêlent de politique – ce qui devrait être leur rôle (Sartre, Foucault, Barthes, Sollers, etc.) mais qui ne fait rien…
      J’admirais aussi André Glucksmann. pour son courage et la fermeté de ses interventions et sa permanente attention à la défense des droits de l’Homme (boat people, Tchétchénie, règne sanglant de l’autocrate Putin…).
      À telle ou telle « famille » politique à laquelle certains se targuent d’appartenir, je préfère les orphelins et les esprits indépendants en la circonstance.

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