Archives du 23/12/2017

Atelier d’hiver de François Bon, « vers un écrire film, #02 | « j’ai trois souvenirs de films » : ma contribution

Dans le cadre de l’atelier d’hiver de François Bon, « vers un écrire film, #02 », voici ma contribution, publiée le 18 décembre, et figurant parmi d’autres sur le site Le Tiers livre.

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Valenciennes #1959.
L’un des premiers films qui m’a marqué, avec ma sœur et mon frère, c’était à Valenciennes (Nord), on frôlait les années soixante du XXème siècle. Le cinéma s’appelle « Le Novéac », il possède une façade en arrondi, toute blanche. Les fauteuils sont en velours rouge et une « ouvreuse » – petit métier disparu – vend des « caramels, bonbons, esquimaux » dans un panier d’osier accroché au cou par une lanière.
Avec « Les Rendez-vous du diable », documentaire d’Haroun Tazieff (1959), je reçois dans la figure l’éruption inimaginable des volcans du monde entier, je suis tétanisé par les coulées de lave, le magma en fusion, les grondements souterrains, la projection tape tous azimuts, les cendres enflammées volent dans la salle obscure mais rougeoyante, c’est un feu d’artifice qui n’en finirait jamais – pourtant le film ne dure que 80 minutes – il me faudrait un casque sur la tête. Je pense que ce monde est équivalent à l’enfer dont nous parle le curé au catéchisme du lycée Henri Wallon.
Nous avons sauté puis mijoté dans la marmite. La salle est un cratère, je sens comme une odeur de brûlé quand je descends ses marches à damiers noirs et blancs. Bien plus tard, je lirai Malcom Lowry dont le titre d’un livre sonne comme un écho psychologique de cette fournaise.

#Valenciennes #1958.
C’est dans le même cinéma, dans la même ville, dans le même lycée où travaillent mes parents, et à la même époque, que je découvre « Michel Strogoff » qui met en scène ou en vedette un des héros de Jules Verne. Vu quelques années après sa sortie, le film (1956) qu’en a tiré Carmine Gallone demeure dans ma mémoire pour ses immenses étendues de neige, l’accent des protagonistes, et les yeux bleu glacier de l’acteur Curd Jurgens et la jolie Geneviève Page.
L’ « ouvreuse » change souvent, certaines d’entre elles (il n’existe pas d’« ouvreurs ») donnent envie de rester à la séance suivante. Je remarque que ce film manque d’enfants. Nous aimons, surtout mon frère et moi, aller au cinéma « comme des grands », sans autre surveillance que notre désir de ne pas faire de bêtises. Le scénario me semble plutôt exotique (les productions étrangères sont toutes doublées en français) et géographique.
Un sabre rougi au feu s’approche des yeux du héros, l’instant est terrible, le châtiment apparaît suspendu à ce geste barbare. Cette scène-clé m’oblige à me mettre à la place du personnage principal : je sens soudain la chaleur de la lame roussir mes sourcils et venir, de manière cruelle et inexorable, m’empêcher à jamais de pouvoir regarder l’enchaînement de l’histoire. Je suis heureux de quitter à la fin la salle et la Sibérie. Pourquoi vouloir ainsi nous faire peur ? Curd Jurgens est-il resté aveugle toute sa vie ?

#Valenciennes #1959.
Le nom même du cinéma était tout un programme : « L’Eden ». J’avais dû demander à mon père ce que cela signifiait, une sorte de paradis sur terre (plus tard, je découvrirai le film d’Alain Robbe-Grillet, « L’Eden et après »). C’est dans cette salle que nous avons vu, mon frère et moi, « Les Mines du Roi Salomon » (1950). L’architecture de « L’Eden », si j’ose dire, était moins tarabiscotée que celle du Novéac : l’horizon fil(m)ait droit devant lui. Le bâtiment était carré, sans fioritures. Je ne connaissais pas encore Stewart Granger, acteur de westerns, ni Deborah Kerr.
Le film pouvait être classé dans la catégorie « péplums » (ou « Les Aventuriers de l’Arche perdue » avant la lettre), je n’avais pas fait attention à ses deux réalisateurs. Je m’étais plutôt embêté pendant la projection, le déroulé me paraissait décidément trop long et je me demandais quel était son intérêt. Quand nous sortîmes de la salle, je dis à mon frère – c’est un de mes premiers jeux de mots dont je me souvienne – la phrase suivante : « Ce n’est pas Les Mines du roi Salomon, c’est Les Mines du roi Monsalaud ! » Un parfum de cobalt ou de terre remuée me poursuivit pourtant dans la rue encore animée. J’avais subi un voyage dans le temps mais je me retrouvais enfin à l’air libre.

(Le Novéac en 1937, photo DR touvée sur Google.)

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