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Renforcement des structures, réparation des pathologies

(Paris, 6 mars. Cliquer pour agrandir.)

Nos équipes sillonnaient les rues, et nous croulions sous les appels téléphoniques. Les habitants, las de ne plus trouver de généralistes se déplaçant à domicile, et de payer pour les interventions hors de prix de « SOS médecins », faisaient de plus en plus appel à nous. Notre flotte de camionnettes se multipliait à la vitesse grand V. La population souffrait mais n’était plus soignée.

À l’image de l’abandon du Obama Care aux Etats-Unis par le dingo Donald Trump, la victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles avait remis tout le système de santé à plat. Privatisée entièrement, la Sécurité sociale n’était plus accessible qu’à ceux qui pouvaient se payer des médicaments sans aucun remboursement. Un marché clandestin de comprimés, cachets, pilules, pansements, fioles diverses, avait donc vu le jour du côté de la place Stalingrad et de la porte de la Chapelle.

Nous avions comme mission de nous présenter chez les patients (qui ne sauraient attendre) dans le quart d’heure maximal suivant leur appel, comme pour les livraisons de pizzas en scooters ou vélos. Nous étions toujours bien accueillis, car nous fournissions immédiatement les médicaments qui convenaient suivant les maladies détectées : les pharmacies n’existaient plus, remplacées par des cyber-cafés avec en guise d’enseignes un téléphone vert ou rouge clignotant.

Pour notre service de « renforcement des structures, réparation des pathologies », nous faisions toujours équipe à deux : le chauffeur-livreur et l’ex-étudiant en médecine. L’ubérisation des services roulait à fond la caisse, elle avait commencé en marche par les bus, les voitures noires avec conducteurs en livrée sombre deux pièces, les avions et les trains à bas coût ou à Vladivostok, elle se poursuivait au galop avec l’offre ouverte à tous les services low cost à domicile aussi bien alimentaires, oculaires, dentaires, littéraires qu’exotiques ou érotiques.

Ne pouvaient plus circuler en ville que les camionnettes autorisées avec mac(a)ron marron bien visible collé sur le pare-brise. Les simples particuliers n’avaient désormais le droit d’utiliser que les transports en commun, c’était devenu d’un banal qui ne choquait plus personne. Les usines automobiles, sauf une seule réservée à la fabrication des véhicules officiels et d’intervention, avaient été reconverties en dortoirs pour travailleurs immigrés avec papiers.

Dans les immeubles d’habitation, suivant le modèle soviétique déjà lointain, seuls les appartements collectifs étaient autorisés. On avait ainsi, en haut lieu, résolu la crise du logement. L’open space avait vaincu les dernières résistances individualistes. Seuls les membres du gouvernement resserré disposaient de résidences ou de datchas personnelles.

Les hôpitaux, réduits au nombre d’une cinquantaine pour toute la France, au nom d’une ambitieuse vision d’économies drastiques dite NEP (Nouvelle Emmanuel Politique), étaient limités aux soins chirurgicaux. Les malades sans le sou pouvaient crever sur les trottoirs. Les médecins roumains représentaient, en fonction de leurs salaires minimes, 50% de la profession.

Les études de médecine ne concernaient plus ainsi qu’une seule spécialité : à défaut de pouvoir tous « charcuter », les étudiants ouvraient des boutiques véganes qui se multipliaient aux quatre coins de l’hexagone. Les « burgers végétaliens » avaient fini par détrôner les McDonald’s et autres KFC. Dans les campagnes, sauf électorales, on ne pouvait apercevoir désormais aucun bovin. Notre pays ne retentissait plus du cri des bêtes dans les abattoirs – ni du sang étalé dans un film de Georges Franju – et chacun dégustait des steacks hachés avec imitation du goût et de la texture de la viande.

Les petits boulots temporaires représentaient l’essentiel du marché de l’emploi. Le chômage avait disparu, l’Insee aussi. Les fonctionnaires ne fonctionnaient plus, les services publics étaient devenus tous privés, les profs ne l’étaient plus à vie : l’enseignement, ça allait un temps. La lutte des classes et des récréations était terminée.

L’avenir radieux roulait sans bruit, de manière électrique. Concernant les quelques rares déchets atomiques restant après le démantèlement des cinquante-huit réacteurs nucléaires répartis sur dix-neuf sites, on enfilait une robe de bure et on priait, c’était devenu obligatoire, pas seulement le dimanche mais également les autres jours de la semaine.

Un jeune dieu politique, beau comme un Kennedy à l’orée de son mandat, avait enfin apaisé les tracas du peuple français trop longtemps déboussolé par les tenants arriérés d’une certaine démocratie dans le style du « Front populaire » ou du « Conseil national de la résistance ».

Nous avions « rêvé d’un autre monde », on y parvenait enfin.

Le libéralisme était un humanisme (le représentant de l’existentialisme avait été enterré le 19 avril 1980 au cimetière du Montparnasse).

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