« BAC » : la réforme s’impose (à propos du film « Les Misérables »)

(cinéma Le Louxor, Paris, 10e.)

Faut-il parler de « film coup-de-poing » ou de film « flash-ball » ? Les Misérables, de Ladj Ly, frappe fort dans le confort douillet du cinéma français, et ne fait aucune concession à l’ordonnancement habituel des situations cossues, des histoires de « trio », des dialogues ripolinés et des cascades de jacuzzi à Deauville ou dans le Lubéron.

L’allusion à Victor Hugo se mêle comme intrinsèquement à l’histoire d’un jour de ces trois policiers de la « BAC » (Brigade anti-criminalité) – ici mise en examen cinématographique – confrontés à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), ville bien connue du cinéaste où il a créé l’association de pédagogie filmique « Kourtrajmé » en 2018, à sa misère sociale, aux « bandes de jeunes » et aux trafics (drogue, prostitution …) qui gangrènent la cité.

Dans leur voiture banalisée, les flics en gilets pare-balles et armés (excellents Alexis Manenti et Djebril Zonga) patrouillent avec un nouveau venu (Damien Bonnard, tout dans l’intériorisation) encore sous l’emprise de ses illusions « réglementaires » : et la bavure inévitable se produit.

Les plans pris depuis un drone donnent la distance nécessaire au film, comme surveillé en permanence par ce qui nous pend au-dessus de la tête (comme l’œil qui dans la tombe…), un point de vue qui englobe à la fois les courses-poursuites et l’alignement des pauvres maisons où un maire et un imam se disputent l’autorité civile et religieuse de l’agglomération.

La violence qui, crescendo, s’allume, éclate et percute de manière assourdissante, dans un affrontement qui paraît sans fin, ressemble à une mèche impossible à éteindre (on ne voit aucun pompier à l’horizon ni les renforts policiers appelés).

Le constat, brut, est implacable. Les policiers de la « BAC » sont-ils seuls à pouvoir « mettre de l’ordre » dans un univers voué à la débrouille, à l’anarchie, à la brutalité, à l’irrespect, quand eux-mêmes en sont réduits à utiliser les mêmes moyens, les mêmes méthodes, le même langage ?

Le « plan Boorlo » (novembre 2017) sur les banlieues n’a-t-il pas été mis à la poubelle par le Chef de l’État lui-même ?

Nul doute que Monsieur le Président de la République, qui s’est fait récemment projeter le film à l’Élysée et s’est déclaré « bouleversé » par sa vision, et son ministre de l’Intérieur qui n’a jamais constaté pour sa part de « violences policières » depuis qu’il est « en responsabilité », aient estimé, tout compte fait, que cette fiction à la Victor Hugo impliquait que l’on se penche plus avant sur « les quartiers » et, ce qui roule avec, une réforme de la « BAC » et de la réponse purement policière à un problème social, lui aussi, de première urgence.

(Photos prises le 22 novembre. Cliquer pour agrandir.)

_________________

Cet article est le 2 000ème publié dans Métronomiques, blog lancé le 13 novembre 2013.

Merci à vous pour vos lectures fidèles ou passagères ! D.H.

Tagué , , , , , , , , , ,

20 réflexions sur “« BAC » : la réforme s’impose (à propos du film « Les Misérables »)

  1. brigetoun dit :

    dommage que le film ne soit pas sorti avant que le petit bonhomme mette le plan Borlo à la poubelle… un peu un enfant notre président, il fait joujou en se déguisant en militaire, et maintenant il en est à découvrir la vie de ceux dont il trouvait qu’ils ne comptaient pas, on peut espérer que bientôt il en viendra à penser que ses choix ne sont pas forcément sans influence sur la misère (là sera bien ennuyé, a pas été sélectionné pour une autre politique)

  2. @ brigetoun : pour s’informer, il va devoir passer trois ans de nuits blanches !… 🙂

  3. Godart dit :

    Bon anniversaire à Metronomiques, fichtre 2000éme une telle persévérance se fête, champagne !

  4. Admirable texte et bravo pour les 2000 articles (on n’ose plus fêter les 13 novembre)

  5. @ colorsandpastels : heureusement, cet anniversaire (pas celui du lancement) tombait aujourd’hui – mais il y avait peut-être une sorte de hasard prémonitoire il y a six ans ?… 🙂

  6. gballand dit :

    Merci de votre critique et de votre lien. Moi aussi j’ai envie d’être bouleversée, comme M. Macron, ce « saint » homme 😉

    • @ gballand : Le dimanche devrait être consacré à une « action de grâces » rendue à son endroit par le peuple aimant.
      Des point supplémentaires seraient ainsi ajoutés pour les retraites des quelques nécessiteux n’ayant pas encore embarqué dans la « start-up nation ». 🙂

  7. bon passage de mille !

  8. PdB dit :

    (c’est certain, on ira) (pour le « confort douillet du cinéma français » je ne te suis pas complètement – j’aime bien cet article – je ne sais pas poser des liens en commentaires, malgré tes nombreuses pédagogies -of so sorry) (je suis allé voir « j’accuse » et ça n’en vaut pas la peine) (et pour le livre de Bulle Ogier (je ne suis pas fan fan) je vais quand même le lire)

  9. @ PdB : Je ne vois pas en quoi l’article que tu cites va à l’encontre de l’appréciation globale que l’on peut avoir des films français – sauf exceptions de plus en plus visibles ! – et de la manière dont ses producteurs, réalisateurs ou techniciens, en majorité de la gente masculine, se comportent – ou se comportaient jusqu’à présent avec les femmes, ou aussi d’autres hommes ou enfants…
    Merci néanmoins de m’avoir enfin ouvert les yeux car j’ignorais totalement ce qui passe en ce moment derrière les écrans de ciné, voire de télé, en France (et ailleurs): un beau panorama, dirait-on ! 🙂

    • PdB dit :

      je voulais dire « confort douillet » ? : pas vraiment c’est tout – rien de plus : quelques vagues disons et quelques idées sur la production et les relations interpersonnelles dans cette corporation – ravi de parvenir à ouvrir tes yeux naïfs et rieurs… :°))

  10. Aunryz dit :

    La rime en -able qui manquait à Leo

    celle de la misère ?

    Bravo pour ce second millénaire

    L’histoire semble à travers ses yoyotages
    faire du surplace
    depuis que tu écrivais
    « des nuages noirs paraissaient s’amonceler au-dessus du pouvoir exécutif. »
    Il semble que le ciel continue de s’assombrir
    et qu’hormis quelques averses …

    • @ Aunryz : un « diable » quelque part ?

      Oui,la météo politique devient de plus en plus inst… able ! Surtout avec une « Météo France » déjà à moitié privatisée (une future FDJ)…

      Bonne éclaircies et merci à toi ! 😉

  11. Bon anniversaire, pour deux mille bougies il faut un gros gâteau !

  12. J’en sors, choc

Laisser un commentaire