Tags dans les grandes hauteurs

« Le Parti prétendait, naturellement, avoir délivré les prolétaires de l’esclavage. Avant la Révolution, ils étaient hideusement opprimés par les capitalistes. Ils étaient affamés et fouettés. Les femmes étaient obligées de travailler dans des mines de charbon (des femmes, d’ailleurs, travaillaient encore dans des mines de charbon). Les enfants étaient vendus aux usines à l’âge de six ans.
Mais, en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double pensée, le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application de quelques règles simples. En réalité, on savait peu de choses des prolétaires. Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils continueraient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient sans importance. Laissés à eux-mêmes, comme le bétail lâché dans les plaines de l’Argentine, ils étaient revenus à un style de vie qui leur paraissait naturel, selon une sorte de canon ancestral. Ils naissaient, ils poussaient dans la rue, ils allaient au travail à partir de douze ans. Ils traversaient une brève période de beauté florissante et de désir, ils se mariaient à vingt ans, étaient en pleine maturité à trente et mouraient, pour la plupart, à soixante ans. Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les querelles mesquines entre voisins, les films, le football, la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile. Quelques agents de la Police de la Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs, notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de devenir dangereux. »

George Orwell, 1984, Gallimard 1950, traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, éd. Livre de poche 1967 n° 1210-1211 (pages 105 et 106).

Concernant certains tags ci-dessous, remarqués hier encore à Paris, on nous signale que le « premier de cordée », sans doute responsable de leur étalage dans les grandes hauteurs de ces immeubles, serait activement recherché par les forces de l’ordre.

(photos : cliquer pour agrandir.)

(The Police, Roxanne)

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22 réflexions sur “Tags dans les grandes hauteurs

  1. Mais que fait la Police !
    (magnifique)

  2. « Du pain et des jeux » finalement on n’a rien inventé. Les Romains le savaient déjà. Actuellement, ils filmeraient l’agonie du gladiateur avec leurs portables et la posteraient sur Twitter.
    Ce texte est vertigineux d’actualité, autant que le talent du graffeur !

    • @ mchristinegrimard : et ce n’est qu’un extrait ! Si Orwell revenait, il n’en reviendrait pas !
      Si les Romains avaient eu BFMTV, ils auraient pu assister en direct à la remise des Tables de la loi sur le mont SinaÏ avec l’énoncé des Dix Commandements : mais Cecil B. DeMille s’en est chargé bien plus tard. 🙂

  3. gballand dit :

    Vois la vie en bleu ! pourrait être le slogan d’un nouveau parti qui aurait comme programme le port du masque 😉

    • @ gballand : il est vrai que la couleur marine est déjà prise même si le changement ridicule de nom est programmé.
      Le grand manitou qui préside à nos destinées me semble porter, lui, un masque invisible. 🙂

  4. brigetoun dit :

    il y a premier de cordée et premier de cordée…
    et il y a et aura toujours la foule manipulée (en des temps des anciens elle fut appelée la tourbe) que d’autres jugent appartenir à une autre espèce que la leur, avec compassion dans les meilleurs des cas, mais même alors avec une compassion un peu détachée comme une corvée flatteuse
    (quelle belle ombre d’arbre sur la dernière photo)

  5. PdB dit :

    (la chance sourit aux audacieux : la maison poulaga passait au bon moment, hein… :°))

  6. Francesca dit :

    La foule a été appelée « glèbe » comme la terre qui lui collait aux pieds. Ce n’est pas le cas de ce graffeur inconnu dont Verlaine aurait pu dire aussi « l’homme aux semelles de vent ».

  7. Alex dit :

    En 2018, on est devenu esclave volontaire. Les femmes sont autorisées à ramasser les ordures, comme les éboueurs.

    • @ Alex : oui, mais elles peuvent être aussi – il suffit bien entendu de le vouloir, selon les préceptes libéraux – ministres des Armées, de la Culture (on n’a pas encore trouvé « le » ministère commun ad hoc pour économiser un poste)…, etc. 😉

  8. Désormière dit :

    J’ai perdu depuis longtemps mon exemplaire ( me l’aurait-on emprunté et pas rendu ? Oh non c’est impossible). Je cours chez le libraire, besoin urgent de relire ce qui apparaissait comme de la SF. Autrefois.

  9. @ Désormière : vous devriez en trouver facilement un autre (mais la couverture, comme celle de mon exemplaire, a dû changer…).
    Effectivement, ce n’est plus du tout maintenant un livre de SF – mais un roman très réaliste, en marche dans le présent ! 🙂

  10. Arlette A dit :

    Il est là sur l’étagère … ce n’était pas de la science – fiction

  11. Dominique AUTROU dit :

    1984 est aussi l’année de la première parution de Vies minuscules, météorite imprévisible bousculant l’ordre des choses et la poussière généalogique.

  12. @ Dominique AUTROU : l’autobiographie en miettes littéraires, Michon même en petit format (Folio) toujours grand !… 🙂

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