La femme aux chiens

(Paris, pont tournant de la rue Dieu, 10e, 19 septembre. Agrandir.)

Sigmund Freud, Cinq Psychanalyses (PUF, 1967, L’Homme aux loups, pages 342 et 343).

IV

LE RÊVE ET LA SCÈNE PRIMITIVE

J’ai déjà publié (1), à cause de sa richesse en matériel folklorique, ce rêve, et je commencerai ici par le rapporter dans les mêmes termes :

« J’ai rêvé qu’il faisait nuit et que j’étais couché dans mon lit. Mon lit avait les pieds tournés vers la fenêtre ; devant la fenêtre il y avait une rangée de vieux noyers. Je sais avoir rêvé cela l’hiver et la nuit. Tout à coup la fenêtre s’ouvre d’elle-même et, à ma grande terreur, je vois que, sur le grand noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups blancs sont assis. Il y en avait 6 ou 7. Les loups étaient tout blancs et ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de berger, car ils avaient de grandes queues comme les renards et leurs oreilles étaient dressées comme chez les chiens quand ceux-ci sont attentifs à quelque chose. En proie à une grande terreur, évidemment d’être mangé par les loups, je criai et m’éveillai. Ma bonne accourut auprès de mon lit pour voir ce qui m’était arrivé. Il me fallut un bon moment pour être convaincu que cela n’avait été qu’un rêve, tant m’avait semblé vivant et clair le tableau de la fenêtre s’ouvrant et des loups assis sur l’arbre. Je me calmai enfin, me sentis comme délivré d’un danger et me rendormis.

La seule action ayant eu lieu dans le rêve était l’ouverture de la fenêtre car les loups étaient assis tout à fait tranquilles et sans faire aucun mouvement sur les branches de l’arbre, à droite et à gauche du tronc, et me regardaient. On aurait dit qu’ils avaient toute leur attention fixée sur moi. Je crois que ce fut là mon premier rêve d’angoisse. J’avais alors 3, 4, tout au plus 5 ans. De ce jour jusqu’à ma 11ème ou 12ème année, j’eus toujours peur de voir quelque chose de terrible dans mes rêves.« 

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(1) Märchenstoffe in Träumen, 1913 (Éléments de contes de fées dans les rêves), Int. Zeitschr. ärtzl. Psychoanalyse, vol. I, 1913.

(photo : cliquer pour agrandir.)

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16 réflexions sur “La femme aux chiens

  1. brigetoun dit :

    Freud m’ennuyait parce que trop à la mode (ado) et suis venue à lui par l’homme aux loups via le petit opéra d’Aperghis

  2. PdB dit :

    (En voilà un qui a eu peur du loup) (il suffit de passer le pont…) (c’est comme ça qu’on nomme le masque (pardon, le max) à Venise, durant le carnaval) (merci à ce cher Freud qui nous ouvre les yeux)

  3. Francesca dit :

    La tenue de la femme, noire et blanche, bien assortie aux robes de chaque chien… c’est parfait.
    Quant aux cauchemars… je m’en souviens encore, ils ont pourri mes nuits de 3 ans jusqu’à l’âge adulte. Ensuite on les décrypte, on vit mieux avec.

  4. […] saloperie – aussi) . Par chance, ou communication interstellaire, ou cosmique l’ami Dominique Hasselmann parle aujourd’hui des loups de Freud et de son homme – j’aime ces conjonctions […]

  5. Robert Spire dit :

    Un cauchemar est un rêve « affreud »….😟

    • @ Robert Spire : Vous avez fait fort, là, quand même… 🙂

      • Robert Spire dit :

        Pour me faire pardonner, voici un passage Du côté de chez Swann : « Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m’étais endormi et, quand je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j’étais, j’avais seulement dans sa simplicité première le sentiment de l’existence comme il peut frémir au fond d’un animal ; j’étais plus dénué que l’homme des cavernes ; mais alors le souvenir – non encore du lieu où j’étais, mais de quelques-uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être- venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant d’où je n’aurais pu sortir tout seul je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l’image confusément entrevue de lampes à pétroles, puis de chemises à col rabattu, recomposait peu à peu les traits originaux de mon moi. »

      • @ Robert Spire : Joli (mais pas besoin de pardon puisque je vous avais répondu avec un jeu de mot) !
        Ce cher Proust (et Amish caché) était sans doute un de ces thuriféraires de la « lampe à huile » moqués récemment par Monsieur le Président de la République, le fier-à-bras de la « start-up nation » ou de la « French Tech », celle qui a péniblement accouché d’une « appli » dénommée « StopCovid » faisant un flop retentissant (sauf si elle est un jour rendue obligatoire pour la population)… D.H. 🙂

  6. Aunryz dit :

    Ah l’époque des bonnes … à tout faire
    y compris se substituer à la tendresse et protection maternelle.
    Il y aurait une étude sociologique et plus
    à faire sur la différence de vécu entre ceux qui les avaient à la bonne
    et les autres de la plèbe (qui dormaient avec toute la famille dans le même lit, lorsqu’il y en avait un)

  7. Joli « matériel », on aurait presque envie de poser des touches d’aquarelle sur l’arbre (à palabres ?) 🙂

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