« Marx était en effet solidement bâti : d’une taille au-dessus de la moyenne… »

Immanquablement, à Paris sur le boulevard de Magenta (10e), quand je remonte vers le cinéma Louxor, je passe devant ce rideau rouge et alors je pense à Karl Marx en me demandant s’il serait entré dans cette boutique qui annonce qu’on s’y occupe particulièrement des grandes tailles.

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J’ai retrouvé un texte de Paul Lafargue, qui avait délaissé quelque peu son Droit à la paresse (1880) pour écrire en 1890 ces « souvenirs personnels » sur son beau-père, figure intellectuelle à la fois politique et philosophique dont il semble qu’on ne parle plus guère maintenant.

Extrait : « Marx était en effet solidement bâti : d’une taille au-dessus de la moyenne, les épaules larges, la poitrine bien développée, il avait le corps bien proportionné, quoique le tronc fût un peu trop long par rapport aux jambes, ce qui est fréquent chez les Juifs. »

Il faudra sans doute attendre un livre du bûcheron de service, Michel Onfray, pour couper symboliquement la tête de l’inventeur (sans le savoir) du marxisme.

Sur le trottoir, un type au pantalon jaune et coiffé d’un chapeau de soleil se dirige dans le même sens que moi : il semble venu tout droit de l’époque coloniale. C’est une rencontre logique puisque Marx avait déjà identifié et analysé le phénomène capitaliste qui serait nommé plus tard la mondialisation :

« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.
Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a ôté à l’industrie sa base nationale. Les anciennes industries nationales ont été détruites, et le sont encore tous les jours.
Elles sont supplantées par de nouvelles industries dont l’adoption devient, pour toutes les nations civilisées, une question de vie ou de mort ; ces industries n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde. A la place des anciens besoins satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux qui réclament pour leur satisfaction les produits des pays et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien isolement et de l’autarcie locale et nationale, se développe un commerce généralisé, une interdépendance généralisée des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l’est pas moins des productions de l’esprit. Les œuvres intellectuelles d’une nation deviennent un bien commun. Le particularisme et la frontière nationale deviennent de plus en plus impossibles ; de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature mondiale. »

Karl Marx, Le manifeste du Parti communiste, 1847 (Union Générale d’Éditions 10 x 18, N°5, 1972, pages 23 et 24).

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Karl3_DH(Les trois photos, prises le 20 mai, sont agrandissables.)

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26 réflexions sur “« Marx était en effet solidement bâti : d’une taille au-dessus de la moyenne… »

  1. brigetoun dit :

    belle lumière le 20 mai (et en écrivant ce mot lumière, pense que ça pourrait être un éloge pour le philosophe)
    merci pour le lien vers les souvenirs de Lafargue

  2. @ brigetoun : un enseignement à ne pas oublier…

  3. lanlanhue dit :

    Ah vive les déambulations rues et textes y compris !

  4. alainlecomte dit :

    eh oui, Marx était très clairvoyant. Ce billet évoque pour moi le livre très intéressant de Bernard Maris: « Marx, ô Marx, pourquoi m’as-tu abandonné? ».

  5. PdB dit :

    visionnaire, don Karlo…

  6. Désormière dit :

    Les rues sont la représentation de ce désir d’être partout à la fois et de profiter de tout en laissant des traces, des marques. Quelqu’un en appelle à Margo et l’homme en jaune, qui a l’air si soucieux de sa tenue, marche pourtant dans les flaques d’eau. Laisser son empreinte n’est pas aisé, celle-là aura déjà disparu.

  7. Arlette dit :

    La vie est un …roman tout se tricote et se tisse dit le philosophe pour une trame aux motifs qui diffèrent peu dans le temps

  8. Arlette dit :

    les trames aussi

  9. Sorcière dit :

    La délocalisation, ça finit mal pour tous en général 🙂

    Je ne mets que du local dans mon chaudron et pour le reste je recycle dans l’occasion, la récupération les échanges et la conso minimale. 🙂
    Ce n’est pas sorcier mais c’est prudent pour l’avenir car ça apprend la survie sans la mondialisation ni le grand capital qui peuvent s’effondrer à tout moment.

    • @ Sorcière : s’ils peuvent ‘s’effondrer à tout moment’, cela prouverait qu’ils sont si fragiles ?

    • Alex dit :

      @ Sorcière : tout passe, tout lasse, tout casse… Mais il restera toujours le chaudron de la sorcière !
      Pas croyable, en archéologie, tous les chaudrons qu’on peut retrouver ! Ils se faisaient même enterrer avec.

  10. Francesca dit :

    Ce qui me fait sourire à chaque fois que j’arrive au niveau de cette boutique, c’est son numéro 148 qui évoque une vraiment très grande taille…
    Ce qui me fait presque pleurer, c’est la terrible clairvoyance de Marx…

    • @ Francesca : Marx était visionnaire pour son temps. Il a été pillé et souvent mal compris (sa célèbre phrase toujours amputée sur « la religion est l’opium du peuple »…).
      Seuls les surréalistes, les situationnistes… et Alain Badiou (entre autres !) ont su interpréter sa démarche.

  11. Je suis d’accord pour lire et relire cette analyse tout à fait adaptée à notre réalité contemporaine. Heureusement, on ne doit pas tout inventer !

  12. Zoë Lucider dit :

    Eh oui ! Les communs engloutis par la prédation propriétaire et le monde ne nous appartient plus, il est aux mains des « argentiers ». (Je lis « la fin de l’homme rouge » de Svetlana Aléxievitch, ou la grande désillusion de ceux qui croyaient accéder à la liberté après la chute de l’Empire soviétique et n’ont vu venir que le pouvoir de l’argent).
    Les photos sont belles comme toujours.

    • @ Zoë Lucider : s’il n’en reste qu’un (de « communiste » pas commun), ce sera Alain Badiou.
      Les « argentiers » sont même « grands » et les traders n’ont pas besoin de traducteurs…

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